lundi 20 juin 2016

La police nationale du Burundi : quelle force pour quel ordre ?

Parmi les forces de sécurité burundaises, la police occupe une place à part, qui témoigne de stigmates de l'histoire très récente du pays. Retour sur cet acteur pilier du régime de Pierre Nkurunziza.
 
Questions à... Gérard Birantamije, enseignant-chercheur en sciences politiques et sociales à l'Université du Lac Tanganyika.

Comment a été créée la police nationale burundaise et quelles sont ses principales évolutions depuis l’indépendance de 1962 ?

L’évolution de la police nationale burundaise (PNB) s’est faite en dents de scie, tantôt les autorités ont affiché des progrès tantôt les événements et les interactions multiples ont dicté des reculs. 
 
A son indépendance, le Burundi hérite d’une force publique composée essentiellement d’éléments en provenance du Congo belge connus sous le nom de « Bamina » (ils étaient envoyés au Burundi à partir de la base de la Force publique coloniale de Kamina au Katanga dans l’ancien Congo-Belge), et dont la mission principale était de soumettre les indigènes au respect de l’ordre colonial. La restructuration de cette force a conduit à la mise en place de la gendarmerie nationale. Avec l’avènement du régime militaire, cette dernière a fusionné avec les Forces armées burundaises, créant de fait une confusion entre les missions de l’armée et celles de police qui revenaient à la gendarmerie. Durant la décennie 1990, il a été créé la police de sécurité publique gérée au niveau du ministère de l’Intérieur. Celle-ci se voulait être une police répondant aux standards internationaux de tout corps de police. Cependant, elle est restée confinée dans quelques villes et centres urbains plus dynamiques. Elle demeurait inconnue du grand public, et partant offrait à la gendarmerie toute la légitimité d’agir comme la vraie police.

La création de la PNB a été initiée par la Loi n°1/023 du 31 décembre 2004 portant création, organisation, mission, composition et fonctionnement de la police nationale du Burundi votée par le Parlement et promulguée par le président de la République de la période de transition. Cette loi est en soi le produit de l’accord d’Arusha et des autres accords de cessez-le-feu comme mentionnés plus haut. Son ambition était de créer une police nationale inclusive, intégrée et unie, capable de mettre fin au modèle dualiste de la police et de la gendarmerie en vigueur depuis l’époque de l’indépendance. D’où ses missions principales à savoir le maintien de l’ordre public, la protection de la population et le combat contre le crime organisé furent réparties entre la police de sécurité intérieure, la police judiciaire, la police de l’Air, la police des frontières et des étrangers et la police pénitentiaire. Le processus de création de cette police aura été couronné par l’intégration des combattants des différents mouvements politiques armés ainsi que la fusion des anciens forces chargées du policing à savoir la gendarmerie, la police pénitentiaire, la police judiciaire, la police de l’Air et des frontières et la police de sécurité publique; qui jusque-là étaient gérées au sein de différentes structures ministérielles. La création de la Direction générale de la police nationale du Burundi devrait générer l’esprit de corps et l’unité d’action. Il manqua au rendez-vous le processus de dépolitisation, socle de la professionnalisation.

Quelles sont les origines de l’actuelle police burundaise ?

La police nationale du Burundi (PNB) est le produit d’une longue crise politique et institutionnelle cumulée d’une crise de confiance envers les appareils de sécurité de manière globale. Elle est l’une des structures en charge de la sécurité intérieure mise en place au lendemain de la signature de l’accord d’Arusha (accords pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, signés le 28 Aout 2000 à Arusha, Tanzanie). Sa naissance résulte d’un besoin exprimé par les acteurs en négociation à Arusha en vue de répondre aux inquiétudes exprimées par les acteurs du G7 (les 7 partis d’obédience Hutu) sur le rôle répressif joué par l’armée dans les péripéties qu’avait connues le Burundi jusque-là. Pour ces acteurs, s’il y avait eu une structure policière proche des populations, les arrestations et les disparitions des milliers d’intellectuels Hutu en 1972 et les massacres de 1993 n’auraient pas eu une telle ampleur. C’est comme si la police nationale organisée en un seul corps, à l’instar de l’armée, allait contrebalancer le poids de l’armée jugé trop imposant en assurant la sécurité pour tous, surtout celle des Hutu hantés par le spectre de la répression des régimes militaires (installés de facto après le coup d’Etat de 1965). Cependant, les acteurs politiques du G10 (10 partis d’obédience Tutsi) voyaient dans la perte du monopole sur l’armée, la cause de la déchéance politique et la récurrence du génocide contre leur communauté, considérée par ailleurs comme minorité à protéger conformément aux principes internationaux. Autant dire que l’idée d’une police nationale n’était pas bien accueillie par les acteurs Tutsi vue que cette police incarnait en filigrane la demande exprimée par les Hutu dont les intentions profondes étaient pour le moins étayées.

Tout compte fait, il faut dire que cette police nationale n’aurait pas vu le jour s’il n’y avait pas eu des négociations sérieuses la question de représentativité ethnique et régionale ainsi que celle de la protection des toutes les communautés exprimées par les acteurs en négociation. Ces négociations interburundaises ont en effet abouti à trois accords considérés comme le soubassement théorique et pratique de la mise en place de la police nationale du Burundi. Il s’agit d’une part de l’accord d’Arusha de qui, dans son protocole III consacré à la paix et la sécurité pour tous, donne l’orientation globale de la mise en place de cette police. Il faut entendre à ce niveau, l’accord sur la parité ethnique dans la composition de la PNB (Protocole III, chapitre 2, art.14, §2.e), la description des missions, de l’organisation et du fonctionnement, la mise en place des critères d’enrôlement, les principes de gestion quotidienne et de redevabilité, les relations avec les autorités civiles, etc.

D’autre part, il faut noter les accords de cessez-le-feu avec les différents mouvements en belligérance contre le Gouvernement du Burundi connus sous l’acronyme de PMPA (Partis et Mouvements politiques armés). Ces accords surtout ceux signés avec le principal mouvement rebelle – le CNDD FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie), parti de Pierre Nkurunziza – ont porté notamment sur le partage du pouvoir de commandement au sein de la police à raison de 65% des forces gouvernementales et 35% des combattants du CNDD FDD. Enfin, il y a eu des négociations ayant donné lieu à l’accord technique des forces (ATF) ainsi qu’au Plan d’opérations conjoint (POC) de désarmement, démobilisation et réintégration. Ces accords ont permis d’opérationnaliser la démobilisation, l’intégration et la mise en place effective d’une Police nationale en posant surtout les principes de base de l’autorité et du contrôle au sein de la nouvelle police (ATF, 3.4.d).

Qu’est-ce qui distingue ou caractérise la police au sein des forces de sécurité du Burundi, et quelle place occupe-t-elle aujourd’hui dans le Burundi de Pierre Nkurunziza ?

La police nationale du Burundi (PNB) dans la configuration actuelle des forces de sécurité du Burundi se caractérise par l’absence d’un esprit de corps, pourtant tant recherché par le processus d’intégration. Le processus de sa mise en place ainsi que les réformes qui ont été mises en œuvre ont favorisé le brassage plutôt que l’intégration. Les solidarités originelles ont permis d’ériger au cœur du fonctionnement des logiques de commandement parallèle, les solidarités négatives et l’impunité. La multiplication des directions générales au sein du ministère de la Sécurité publique a dépouillé le directeur général de la PNB du contrôle direct sur la police tant sur le plan stratégique que sur le plan opérationnel, laissant le champ à bien d’aventures parfois criminelles (escadrons de la mort, circuit de ventes des armes légères, commissions sur les biens de la police, etc.). Cela a porté un effet psychologique sur les personnels de la police. Il y a un esprit de vainqueurs et de vaincus qui s’est progressivement installé dans la gestion et le fonctionnement de la police. Tous les anciens policiers et gendarmes ont été progressivement mis au pas par les anciens maquisards, véritables protégés et protecteurs du régime politique. Cela se voit dans la répression des opposants au régime de Nkurunziza depuis le premier mandat. En principe, l’accord d’Arusha en privilégiant les quotas ethniques au sein de la police (et de tous les corps de sécurité) voulait créer un équilibre de «terreur » et rappeler que les deux groupes doivent veiller à la sécurité de tous, et a fortiori, à la consolidation de la paix encore négative à l’époque.

Aujourd’hui, la Police nationale est loin d’être cette force de nature à affermir la paix et la sécurité de tous telle que décrite dans les documents normatifs. Elle est devenue une véritable machine de répression à la solde du régime de Pierre Nkurunziza. Si l’on ne peut affirmer que tous les éléments de la police s’illustrent par ces atrocités, la présence de doublons dans les chaines de commandement, l’impunité et la corruption font de la Police nationale du Burundi, un corps dont l’image ne survit que grâce à sa participation aux opérations extérieures. Même à ce niveau des questions se posent quant auxdites performances extérieures qui ne sont jamais transposées au niveau intérieur. C’est comme si le Burundi n’avait plus de police, mais un conglomérat de simili-policiers.

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