Dans le quartier de Mutakura, à Bujumbura.
Adriel Pfister/DPA/MAXPPP
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Idéologie, propagande, répression, les autorités semblent encourager l’ethnicisation de la société burundaise.
Un génocide, tout le monde y pense, beaucoup y croient et certains
s’y préparent. De caractère politique, la répression qui s’est abattue
au Burundi a aussi une coloration ethnique.
« En se
représentant pour un troisième mandat à l’élection présidentielle, en
2015, le président sortant Pierre Nkurunziza s’est heurté à une
contestation populaire mêlant Hutus et Tutsis dans de nombreux quartiers
de Bujumbura. Des quartiers connus pour abriter majoritairement des
Tutsis, le “Tutsiland” », explique un acteur de la société civile.
Peu
à peu, le glissement de Tutsis à opposants politiques s’est
généralisé : surtout au cours des opérations de police dans le
« Tutsiland ». « Après le putsch avorté du 13 mai 2015, les faucons
du parti présidentiel ont pris tous les pouvoirs. Ils ont promu et
recruté les extrémistes dans les postes clés », décrit une source documentée.
« Chiens de Tutsis », « rebelles de Tutsis »… ces propos seraient monnaie courante parmi les forces d’intervention. « Lorsque j’ai été pris dans les rafles du 1er juillet, les policiers séparaient les Hutus des Tutsis. Je les ai vus tuer les Tutsis », affirme Clément, un rescapé qui vit caché dans la capitale burundaise.
Montée de la violence antitutsie
Les
témoignages faisant état de tri entre Tutsis et Hutus, lors des
arrestations, sont légion. Les Tutsis seraient aussi plus durement
traités, plus facilement châtiés, condamnés et tués. Pour l’heure,
impossible de vérifier ces dires, d’étudier les preuves. En revanche,
ces témoignages viennent de tous les milieux, de tous les cercles, de
toutes les religions et de tous les quartiers de Bujumbura.
Le
discours des autorités est lui-même un signe de cette montée de la
violence antitutsie. Pour les thuriféraires du régime, l’opposition est
au service des Tutsis qui veulent reprendre le pouvoir aux Hutus. Pour
éviter cela, ils appellent à la vigilance. « Les Tutsis ne sont pas directement nommés dans ces discours mais tout le monde comprend l’implicite », témoigne Paul, un intellectuel burundais.
La Commission nationale de dialogue interburundais (CNDI) est paradoxalement l’un des canaux de diffusion de cette idéologie. « Elle
organise des réunions dans tout le pays. Les leaders locaux sont
invités à s’exprimer sur la crise actuelle : l’occasion pour le régime
de faire passer son message et d’identifier ceux qui ne partagent pas
son point de vue », explique un observateur.
Il semble que ce discours s’étende peu à peu à la campagne. « Pendant
un congé, je suis retourné dans mon village. J’ai revu des amis du
lycée. Ils me disaient que les Tutsis se préparaient à reprendre le
pouvoir et qu’ils allaient nous massacrer comme en 1972 ! », confie Olivier, un étudiant.
Une surveillance accrue
Au
côté des forces de l’ordre traditionnelles, le pouvoir a constitué des
corps de police, de militaires, de citoyens entièrement dévoués à sa
cause et ethniquement homogènes. Ceux-ci obéissent directement à la
présidence et disposent d’une hiérarchie parallèle.
Autre élément
inquiétant, la surveillance accrue de la société burundaise. Le régime
s’appuie par exemple sur les chefs de quartiers pour contrôler les
allées et venues des habitants. « Les chefs de famille doivent
signaler à leur chef de quartier ceux qui leur rendent visite, les
personnes présentes et absentes de leur famille. Tout doit être consigné
dans des ”cahiers de familles”, une mine d’informations et un outil de
contrôle pour le régime », explique un observateur international.
« Au
début de l’année 2016, les autorités ont distribué des téléphones
portables à tous les chefs de colline et à tous les chefs de village du
pays, témoigne Pierre. Ils peuvent tous être mobilisés en quelques secondes. »
Plusieurs sources font état d’une vaste distribution de machettes par
le ministère de l’agriculture. Officiellement, pour les activités
agricoles.
« Pour l’heure, la population résiste à la tentation ethniciste, affirme un leader burundais. Mais un génocide peut aussi être commis par une minorité déterminée qui dispose de tous les leviers du pouvoir. »
Laurent Larcher, à Bujumbura, le 03/04/2016 à 18h14, http://www.la-croix.com/Monde/Afrique
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