A la tête de l’Olucome, Gabriel Rufyiri est aussi un
commentateur de l’actualité politique du Burundi « comme tout autre
citoyen ». Il revient sur les résultats du dernier congrès du parti au
pouvoir, ainsi que les difficultés auxquels font face les activistes de
la société civile au Burundi.
Ikiriho : Le Cndd-Fdd a révisé les textes régissant son fonctionnement lors de son dernier congrès. Quel impact pensez-vous que cela puisse avoir sur la vie politique au Burundi ?
Ikiriho : Le Cndd-Fdd a révisé les textes régissant son fonctionnement lors de son dernier congrès. Quel impact pensez-vous que cela puisse avoir sur la vie politique au Burundi ?
Malheureusement, je trouve que le Cndd-Fdd se recherche toujours.
Parfois il semble qu’il ne sait pas sur quel pied danser. Il y a manque
de leaders visionnaires. Au lieu de bâtir un système qui favorise la
compétition dès l’interne pour que cela rejaillise sur le pays, par
l’amendement de textes, les hommes forts du parti cherchent surtout à
bâtir un système taillé sur mesure. Le fait que tous ceux qui ont dirigé
le Cndd-Fdd ne sont pas en bon accord avec les dirigeants actuels du
parti est un signe éloquent qui montre que le problème de leadership qui
se trouve un peu partout dans le pays ronge en premier lieu le
Cndd-Fdd. Il y a donc un sérieux problème de vision.
En parlant de ce congrès, très centré sur 2020, certains voient
en Agathon Rwasa l’espoir d’une alternance politique au Burundi. Qu’en
pensez-vous ?
C’est un sérieux problème qui se pose: avec ces questions
d’alternance, on se focalise plus sur l’intérêt que sur le fond. En tant
que membre de la société civile, cela me dérange. On ne devrait que se
focaliser sur trois questions qui méritent d’être traitées urgemment :
le respect des textes, l’arrêt des violences et l’analyse des causes de
la violence, de la pauvreté, du manque de renouvellement de la classe
politique. Sinon, l’alternance au pouvoir est une question d’intérêt
personnel, qui pour moi ne peut pas donner de solution à la crise
burundaise.
Justement, certaines organisations de la société civile au
Burundi ont été suspendues avec la crise. Qu’en est il de l’Olucome ?
Quelles relations entretenez-vous avec le pouvoir de Bujumbura
actuellement ?
Si plusieurs organisations de la société civile ont été suspendues,
ce n’est pas seulement suite au rapport publié par le Parquet Général de
la République sur le putsch manqué du 13 mai 2015, après un « mouvement
insurrectionnel déclenché le 26 avril 2015 » comme le pouvoir le dit.
C’est aussi suite à la lettre du 14 avril2015 au Secrétaire Général des
Nations unies qui aurait dérangé les dirigeants. Toutes les
organisations qui l’ont signée ont été taxées le 14 février 2015 selon
le rapport du Parquet Général de la République de « salir l’image du
pays ».
Mais vous n’êtes pas co-signataires de la correspondance …
C’est vrai qu’à cette époque l’Olucome n’a pas eu le document pour le
signer. On suppose qu’on aurait pris notre responsabilité pour le
faire, comme nos confrères. Du coup, l’Olucome a déjà publié plusieurs
correspondances dénonçant cette suspension, que nous trouvons injuste.
Même s’il pourrait y avoir des fautes ici et là, la solution serait pas
de suspendre les organisations. Sinon, l’Olucome continue de travailler,
même si c’est difficile car le terrain est verrouillé et les corrompus
sont devenus plus fort que l’Etat .Aussi, beaucoup de media privés sont
fermés et la plupart des organisations consœurs avec lesquelles on
étaient sur terrain ne fonctionnent plus. Nous plaidons pour la fin de
la suspension, nous appelons aussi au respect des principes
démocratiques : il faut que le gouvernement, la société civile et
l’opposition puisse chacun à ce qui le concerne joue pleinement son rôle
de manière autonome. Les problèmes résultent de la confusion qui règne
parfois entre les rôles des uns et des autres.
Si l’impasse dans la crise actuelle devait perdurer,
envisagez-vous à la longue d’embrasser une carrière politique comme
certains de vos confrères qui ont rejoint le CNARED?
Comme je le dis souvent, la société civile ne joue pas de politique.
En ce qui me concerne, en tant que citoyen je crois que j’ai le droit de
suivre ce qui se passe dans le pays, de donner des conseils et points
de vue. Du reste, chaque acteur opère selon sa conception de
l’engagement qu’il a. Il y a 5 pouvoirs dans n’importe quel État qui
respecte l’esprit démocratique : le Gouvernement, la Justice, le
Parlement, l’Opposition, les Médias et la Société civile. Aucun des 5
pouvoirs ne devrait se mélanger avec un autre. Je pense donc avoir
répondu à votre question : chacun doit scrupuleusement jouer son rôle.
C’est ce que fait Olucome.
Quels sont les grands défis auxquels les organisations de la société civile au Burundi font face aujourd’hui ?
La compréhension de leur rôle, et le contexte de gouvernance du pays.
Plusieurs problèmes que nous avons sont plus liés à l’espace qui nous
est réservé. Aujourd’hui, la société civile au Burundi ne peut en aucun
cas fonctionner librement. Les dirigeants d’aujourd’hui et ceux de
demain devraient comprendre que la société civile est là pour conseiller
ou dénoncer les abus, et il revient au pouvoir d’exploiter cette
information pour remettre les choses en ordre. Chacun doit fournir un
effort pour l’avenir du pays. Aujourd’hui, le Burundi est classé parmi
les pays les plus pauvres, le sixième des pays les plus corrompus au
monde. Cela, personne ne peut le nier. Quand nous interpellons et
faisons état de ce qui se passe, on nous accuser de dénigrer les
institutions…
Récemment, le CNARED a été écouté par le facilitateur Benjamin
Mkapa. D’après vous, que peut être l’impact de cette démarche sur la
suite du dialogue à Arusha ?
Que ce soit à Entebbe, ou à Arusha, nous avons toujours demandé que
l’écoute soit la plus large possible pour rassembler autant
d’engagements en faveur de la paix que possible. Nous nous réjouissons
donc que la facilitation ait pris le temps de rencontrer le CNARED.
C’est en écoutant le plus de monde que la voie du dialogue continuera à
primer sur les autres sortes de solution, qui peuvent aboutir ou pas,
mais qui vont certainement avoir un effet ravageur sur les populations.
La lecture des enjeux du dialogue d’Arusha II se partage souvent
entre deux voies : d’un côté, l’inclusion de l’opposition radicale dans
le gouvernement pour la mise en place d’une transition, ou pour la
préparation des élections plus « transparentes » en 2020. Quel est votre
analyse ?
Il faut chercher à comprendre en profondeur les questions que nous
autres Burundais avons aujourd’hui. La plus grande est à mon avis le
non-respect des textes et des engagements, la volonté de se maintenir au
pouvoir. La politique est considérée pour certains leaders politiques
burundais comme la principale source de revenu. Celui qui est au pouvoir
ne veut en aucun cas lâcher. Celui qui n’est pas au pouvoir utilise
tous les moyens pour y accéder. Tant qu’il n’y aura pas une règle du jeu
politique respectée par tous, ce seront toujours des problèmes. A mon
avis, la solution n’est pas dans l’instauration des transitions ou pas
mais plutôt dans le fait de poser un diagnostic sincère de nos
problèmes.
Un fait particulier qui a retenu votre attention avec la crise actuelle ?
J’ai lu et suivi avec attention les positions des uns et des autres
depuis plus d’une année. Je remarque avec tristesse dans toutes les
tendances qu’il y a des gens qui veulent toujours pousser à l’extrême.
L’extrémisme ne peut jamais donner de solution. Pour un avenir meilleur
du Burundi, chacun devrait éviter le nombrilisme et parler « intérêt
général du pays d’abord et son avenir ». Si nous n’acceptons pas de
vivre ensemble, nous choisissons de mourir dispersés comme des
imbéciles.
24 juin 2016, http://www.ikiriho.org
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